Dominants parmi les dominés
La masculinité hégémonique, même chez les hommes dominés, offre un pouvoir symbolique résiduel. Ils s’y accrochent malgré ses coûts, car perdre ce privilège reviendrait à perdre leur identité, nourrissant angoisse, violences et fausse conscience.

Réflexions suite à l'écoute du premier épisode du grand entretien avec Édouard Louis pour le podcast "Les Couilles sur la table".
Il y a quelque chose, dans la masculinité hégémonique[[1]] qu’incarnent les HSBC, une dissonance qui n’apparaît vraiment que lorsqu’on s’intéresse aux classes les plus défavorisées de la société. Ces hommes, qui ne sont ni issus ni membres de la bourgeoisie économique ou culturelle, investissent dans le machisme une implication si forte qu’elle en devient déconcertante.
Pour ces masculinités dominées, le rapport bénéfice/perte de cet investissement n’est apparemment pas à leur avantage et relève davantage d’une forme de fausse conscience[[2]] que d’une volonté réelle de soumettre. Comme s’ils tendaient, par leur propre reproduction[[3]], vers la pérennisation d’un schéma qui les écrase.
Or, si la masculinité a un coût terrible[[4]], elle reste une source de pouvoir symbolique : relatif, marginal, résiduel, mais qui, pour ceux qui sont le plus subjugués et dépourvus de tout – y compris d’une compagne – constitue la seule chose qu’on ne pourra jamais leur enlever.
Dans le réalisme capitaliste[[5]], aucune alternative viable au paradigme social et économique actuel ne peut exister. Il empêche même de concevoir ou de penser l’alternative. Ainsi, si pour certains, il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme, il semble que pour ces hommes, c’est la fin du patriarcat qui est inconcevable, car elle induirait leur oblitération ontologique[[6]].
Pour ces dominants parmi les dominés[[7]] naît alors une angoisse systémique : celle de la disparition d’une masculinité perçue comme inexorable et dans laquelle réside leur dignité même[[8]]. Cette angoisse nourrit un réflexe anomique et nihiliste dans la société actuelle. C’est une peur de perdre qui pousse à la violence symbolique ou concrète, pour défendre ce qu’ils refusent d’abandonner, ou pour le détruire afin que nul autre n’en jouisse. Perdre cela, ce serait se perdre soi-même[[9]].
Ainsi, ces hommes, s’ils ne mesurent pas toujours la souffrance qu’ils causent, connaissent parfaitement celle qu’ils endurent et savent ce qu’ils attendent en retour de leur investissement : de petites victoires, de petites fiertés, de petites licences issues de conflits et d’oppressions domestiques – que l’on appelle violences lorsqu’on en est victime, mais que l’on décrit comme exigences de respect lorsqu’on les inflige.
[[1]]:Connell, R. 2024. Des masculinités Hégémonie, inégalités, colonialité. Paris, Payot.
[[2]]:leo, Thiers-vidal. 2010. De « L’Ennemi Principal » aux principaux ennemis. Editions L’Harmattan
[[3]]:Bourdieu, Pierre et Jean-Claude Passeron. 1970. La Reproduction. Paris : Minuit.
[[4]]:Peytavin, Lucile. 2021. Le Coût de La Virilité. Anne Carrière.
[[5]]:Fisher, Mark. 2025. Le Réalisme capitaliste : n'y a-t-il aucune alternative ? Entremonde.
[[6]]:Ferrari, Pauline. 2023. Formés à la haine des femmes. JCLattès.
[[7]]:Engels. 1884. L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État : « Dans la famille, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat. »
[[8]]:Dupuis-Déri, Francis. 2018. La crise de la masculinité - Autopsie d’un mythe tenace.
[[9]]:Le Roux, Clément. 2022. Constructions des masculinités chez les auteurs de violences sexuelles. Angers : Université d’Angers.